C'était contradictoire. Cette impression en moi d'avoir trouvé un endroit sûr, une maison qui serait enfin un foyer, des personnes qui pourraient enfin s'inquiéter pour moi. C'était contradictoire parce que j'était mort, que quand on est mort, on n'est plus sensé s'inquiéter de ce genre de chose, on veut juste que ça s'arrête, passer de l'autre côté, voir la lumière, arrêter de souffrir chaque jour que dieu fait. Contradictoire parce qu'il a fallut que j'attende plus d'une quinzaine d'année pour trouver ce que j'avais prié nuit et jour...et que pour l'avoir il avait fallut que je devienne ce qui me terrifiait. Ouai, les vampires m'avaient toujours foutus la frousse, j'avait la chaire de poule rien qu'en sachant leur existence. Ils me faisaient flipper comme pas deux et voilà que j'étais l'un des leurs...Parfois je me réveillais encore en total panique, parce que j'avais rêvé être encore vivant, que Driesen était là, qu'il était pourvu de crocs d'ivoire, que son seul but n'était plus seulement de m'ôter tout espoir de vie heureuse, mais également de me faire souffrir dans l'instant, de m'arracher la peau, les muscles, ma voix, mes yeux...je n'étais pas l'être le plus serein de la planète, ça ne faisait aucun doute. Je bénissais le jour où je pourrais enfin enfoncer mes crocs dans la chair laiteuse et morne de ce monstre, que je pourrais le faire souffrir encore, encore et encore. Il paierait pour toutes ces fois où j'avais pleuré dans mon lit, ma tête aplati contre mon oreiller et son corps souillant le mien. Je ne voulais pas en parler à Anastazia, pas pour l'instant, et je la remerciait intérieurement de ne pas insister. Mais un jour...un jour, j'en était persuadé, je trouverais la force de lui dire, d'avouer, de me libérer de toute cette vase qui encombrait ma poitrine et mon esprit. Ce jour là, je serais prêt, prêt à me dire que je pouvais être heureux comme ça, froid, dur comme la pierre, le sang glacé, mais heureux. Heureux car j'aurais enfin trouvé une famille, que je m'autoriserait enfin à faire le deuil d'Arya, sachant qu'elle aura été vengé comme il se doit.

Anastazia se leva en ironisant sur le fait que depuis son adoption, Mavrick a surement dû être maltraité un bon nombre de fois. Je réprimais un frisson alors que j'enfonçais un peu plus mes mains dans mes poches. Je tâchais de me taire, de me dire que des paroles comme ça étaient tout ce qu'il y avait de plus normal, que mon cas n'était qu'une exception, qu'une mère peut aimer son fils, qu'elle peut rigoler sur la maltraitance tout en ayant jamais été incorrecte envers son descendant. Ca fait mal, mal de se dire que j'aurais aimé être à la place de Mavrick, j'aurais aimé avoir trouvé une mère comme Anastazia. Elle le protégeait, elle le protégerait jusqu'à ce que sa tête soit séparé de son corps. Moi, je ne pouvais compter que sur moi, ma noirceur, mon esprit pourri, mes sentiments pour l'infant à mes côtés, et l'envie d'être aimé comme un fils par mon Sire. Anastazia nous invita alors à nous avancer vers la table où toute sorte de lames, de seringues, d'instruments cauchemardesques étaient exposés, comme pour nous dire "allez-y servez vous." J'avais l'impression que se trouvait devant moi une sorte de défis, comme si en prendre un en main m'ouvrirait les portes d'un état d'esprit que je n'étais pas sur de vouloir. Est-ce que j'oserais faire ce que je souhaitais ? Est-ce qu'une fois face à Driesen, mes muscles ne seront pas totalement figés, est-ce que je saurais mettre de côté la peur omniprésente en moi pour pouvoir lui arracher des cris salvateurs de ma souffrance ? Je ne savais pas, je craignais comme Infant, c'est tout ce dont j'étais certain.

Je tournais la tête d'un geste rapide vers la provenance de cette odeur qui hantait les lieux depuis quelques heures. Un corps humain. Anastazia avait ramené un humain ici...cela faisait des semaines que je n'en avais pas vu et voilà que son odeur si spéciale vint grimper le long de mes poumons pour exploser dans ma gorge. Je crispais ma mâchoire, se con-trô-ler, ça devait pas être bien difficile nom d'un chien ! Je fermais les yeux et inspirais un bon coup, bien que la présence d'oxygène dans mes bronches ne me servirait fichtrement à rien. Je m'avançais vers la petite table et m'accroupissait, le bout de mes doigts venant caresser les lames et diverses pinces misent à disposition. La plupart des autres instruments était inconnu de mon esprit, mais j'avais cette envie malsaine d'apprendre à m'en servir, de pouvoir savoir ce qu'ils procuraient comme sensation, de savoir comment les utiliser si un jour c'était à moi de devoir protéger Mavrick. A cette pensée je tournais instinctivement mon visage vers lui, scrutant son expression, il avait toujours été le plus à l'aise des deux. Peut être était-ce parce que lui vivait avec Anastazia depuis plus longtemps que moi, que lui avait voulu cette nature vampirique. Je retournais mon visage vers les instruments de torture. J'assimilais le discours d'Anastazia, son geste était noble et je la respectais grandement pour bien vouloir nous apprendre l'art de la torture. La Sire ne parlait pas beaucoup de ses anciennes expériences, mais je pouvais aisément deviner que sa vie n'avait pas été toute rose à elle non plus. Je connaissais certains de ces instruments, je les connaissais parce que je savais parfaitement la douleur qu'ils procuraient. En temps que forgeron, Driesen en avait toujours eu quelqu'un sous la main...Mes doigts s'arrêtèrent sur une série d'aiguille à calibres différents avant de reprendre leur chemin pour venir finaliser leur itinéraire sur une lame ciselé. Il y avait aussi une petite quantité de flacons aux divers contenus. Je prenais en main la lame ciselé avant de me relever et d'attendre la suite des évènements.